Mœurs et coutumes de la cité du
monde.
Les mœurs
sont le fruit des amours. Tel amour, telles mœurs. Or l’amour qui règne en la
cité du monde, c’est l’amour de soi : l’amour de soi mal entendu, l’amour
de soi se faisant soi-même sa fin, sa loi, sa raison d’être, ce qui est la
négation de Dieu.
Cette
simple remarque nous donne l’explication de l’athéisme moderne. Nos impies ont
la logique du mal : logique funeste dont ils sont les victimes.
L’amour de
soi étant pris ainsi comme loi suprême, ne peut cependant trouver en soi sa
satisfaction. Dieu seul se suffit à lui-même. Et les créatures qui veulent
singer Dieu dans cette sublime prérogative ne tardent pas à reconnaître leur
indigence.Dans la maison de mon Père, disait l’enfant prodigue, les mercenaires
même ont du pain en abondance, et dans ce pays-ci, moi, je meurs de faim. (S.
Luc, XV, 17.)
Alors, manquant de tout, la créature
regarde autour d’elle ou au-dessous d’elle ; elle va quêtant, par-ci,
par-là, ou de la gloire, ou des possessions terrestres, ou des plaisirs :
c’est-à-dire que l’amour-propre, forcé de sortir de lui-même, se montre par une
des trois concupiscences, et cherche ainsi à attirer à soi de quoi satisfaire à
son besoin d’aimer, de jouir, de posséder : besoin invincible et cependant
insatiable.
Toute la morale de la cité du monde,
morale indépendante comme on le voit, découle de cette source funeste de
l’amour-propre, source qui se divise en trois branches, et va se répandant de
tous côtés, pour y promener son indigence, mendier des satisfactions, et cela
toujours en vain, car les satisfactions manquent et l’indigence reste.
C’est un des caractères de la cité du
monde, elle veut jouir dans le présent ; et pour l’amour de cette
jouissance dans le présent, elle sacrifie toute espérance dans l’avenir.
Saint Augustin dit quelque part que,
dans la cité de Dieu, par le cœur la chair est purifiée : Per cor
caro mundatur. (De civit. Lib. X, c. XXV). Mais dans la cité du mal, là où
le cœur est ainsi livré à l’amour-propre, il devient lui-même souillé, et il ne
tarde pas à souiller la chair qu’il aurait dû sauver.
C’est pour cela que dans la cité du
monde on ne veut point de la sainteté du mariage : on aime les unions
libres, c’est-à-dire la liberté du désordre. Dans le mariage même, on ne veut pas des fruits du
mariage.
Voici
quelques petits traits de mœurs qui nous sont fournis par l’histoire.
« Saint Augustin nous apprend que les Manichéens, qui ne se permettaient
pas le mariage, se permettaient toute autre chose. C’est que, selon leurs
principes, c’était proprement la conception qu’il fallait avoir en horreur. Ces
hérétiques se mitigeaient quelquefois à l’égard du mariage. Un certain Hartuvin
le permettait, parmi eux, à un garçon qui épousait une fille… encore ne
devait-on pas aller au-delà du premier enfant. » (Bossuet,
Hist. des Variations, liv. XI.)
Dans ces conditions,
la femme est sans dignité, la vie sans honneur comme sans bonheur, et la mort
sans espérance. Reste donc, comme dit saint Paul, l’effroyable attente du
jugement et le feu qui dévorera les ennemis de Dieu. (Heb., X, 27.)
(Padre Emmanuel-André, falecido em 1903)